Le but assigné à la « doctrine des affinités » est, selon notre auteur, triple ; cette doctrine doit en effet aider à l’analyse, expliquer les phénomènes chimiques et enfin prévoir les résultats des réactions. C’est ce qu’exprime la seconde phrase du mémoire.
En 1758, les idées newtoniennes sont entièrement diffusées dans les milieux scientifiques européens. Jean-Philippe de Limbourg en a eu connaissance, nous l’avons dit plus haut, lors de ses études à Leyde, principalement auprès de P. van Musschenbroek. Aussi n’est-il pas étonnant de lire dès le second paragraphe comment les idées d’attraction et d’affinité peuvent être liées :
" Par des observations et des expériences journalières, on remarque entre différens corps une propriété par laquelle ils tendent à s’approcher & à s’unir ensemble, comme entre deux gouttes d’eau, qui, se touchant, ou étant peu distantes l’une de l’autre, se rapprochent et se confondent en une ...
... cette propriété, quel qu’en soit le principe, est connue sous le nom d’Attraction, de Rapport, d’Affinité". [8].
Dans la suite, l’auteur distingue les attractions physiques, responsables des phénomènes gravitationnels, magnétiques, électriques, qui sont des attractions véritables ou spécifiques, abandonnées à la physique générale et l’affinité chimique :
Fig. 2. - La table des affinités de Jean-Philippe de Limbourg (1758).
" La chymie étant bornée à celle de ces propriétés, qui s’exécutent par un mouvement intestin des parties des diverses substances & que l’on observe entre divers corps naturels, ... elles son proprement connues sous les noms de Rapports, ou d’Affinités, (etc.) » [9]
Pour construire le système physicomécanique demandé par l’Académie de Rouen, Limbourg propose de suivre le plan suivant :
Le projet de Limbourg est donc vaste et ambitieux puisqu’il vise à trouver tout à la fois la nature, la cause et les degrés dans les effets des affinités - tendance à l’union - et à construire un système complet d’explication de la chimie. Ce système s’appuyera nécessairement sur l’observation des faits dont on induira les principes. Il faut voir dans cette protestation méthodologique, l’influence de la méthode des physiciens expérimentalistes dont Limbourg a reçu l’enseignement en Hollande et en France.
Les quatre propositions énoncées plus haut, constituent les quatre chapitres en lesquels la Dissertation est subdivisée.
Dans le premier chapitre, l’auteur tente de classer les différentes substances qui ont de l’affinité l’une pour l’autre, suivant leur nature et il envisage trois classes :
1. Les corps identiques, de même nature ou de même espèce, comme le sont deux gouttes d’eau ou de mercure qui s’attirent et s’unissent - par attraction capillaire, soulignons-le ici - ; il s’agit donc là de l’union de substances ayant entre elles une évidente affinité de ressemblance.
2. La seconde catégorie envisagée diffère peu de la première ; les substances dont il s’agit sont en effet identiques par partie sans l’être dans leur totalité. L’affinité qui les unit est donc encore une affinité de ressemblance. Ces substances sont par exemple les corps inflammables qui possèdent en commun le fameux phlogistique (principe d’inflammabilité).
3. La troisième catégorie pose un problème d’interprétation.
Les substances qui y sont classées sont en effet celles qui s’unissent et qui indéniablement semblent différentes par essence. La gêne de l’auteur à leur sujet se manifeste dans des formules contournées qu’il emploie :
« Nous voyons que des matières différentes se réunissent en une masse homogène, d’une manière qui, selon toute vraisemblance, ne s’exécute point par des parties identiques de ces matières, comme dans la seconde classe, mais par des parties vraiment différentes par essence, quoique probablement semblables, ou assorties par quelque coté » [10]
Le second chapitre s’intitule « De la Nature et des Causes des Affinités ». Jean-Philippe de Limbourg examine et souligne longuement les difficultés rencontrées pour expliquer toutes les affinités observées, par le principe d’identité. Il critique les hypothèses inventées par les chimistes pour établir entre les substances dissemblables qui s’unissent indéniablement, « une uniformité prétendue », leur permettant de leur appliquer le principe de similitude. Il écrit par exemple :
« Quelques-unes de ces suppositions peuvent être bien fondées ; mais vouloir les généraliser autant que l’explication des affinités par le principe d’identité pourrait l’exiger, ce seroit raisonner par pétition de principe & contre l’évidence des faits, qui déposent des effets semblables, causés par des matières qui, suivant toutes les apparences, sont essentiellement différentes » [11]