La richesse de la documentation appelle L’Aventure des parallèles à devenir un important ouvrage de référence. Il convient, cela va de soi, de réserver un jugement définitif jusqu’à la parution du second volume, où devraient normalement trouver place les méthodes plus avancées ; à tout le moins peut-on accorder dès maintenant un préjugé favorable. Il est clair, au demeurant, que l’ouvrage ne s’adresse pas au lecteur désireux d’avoir à bon compte une vision touristique de la question ; le fait que l’auteur ne se prive pas d’invoquer des propriétés de géométrie absolue ou hyperbolique est déjà de nature à opérer une sélection des lecteurs au fil du premier volume, sélection que le second volume devrait parachever.
Ceci m’amène à parler de la forme. A voir l’épaisseur de l’ouvrage, on pourrait redouter un exposé verbeux et diffus. Tout au contraire, l’auteur évite constamment la prolixité, grâce à un style qui marie heureusement le modelé des nuances avec une retenue élégante ; le lecteur pourrait même, par endroits, aspirer à des commentaires moins concis. La présentation typographique est de qualité, les figures ont une parfaite netteté. Les lapsus et coquilles sont relativement peu nombreux ; je note au vol réécrire (p. 23 et 34), en avoir retenues (p. 78), résoud (p. 86), sensé pour censé (p. 182), fusse-t-il (p. 483), résonnance (p. 512), accomoder (p. 668). Quelques étourderies sautent aux yeux. Ainsi, p. 262, à propos de Gergonne, un sous-titre fait allusion aux Nouvelles Annales ; les Annales de Gergonne, rappelons-le, ne deviendront « nouvelles » qu’en ressuscitant avec Terquem.
Un peu plus gênant que ces vétilles est le découpage complexe de l’ouvrage : le volume est partagé en 7 livres, ceux-ci en parties, les parties en chapitres (parfois très courts, de l’ordre d’une demi-page), les chapitres en paragraphes. Fort bien. Mais s’orienter dans cette forêt n’est pas de tout repos et conduit parfois à une sensation d’abattement, quand ce ne serait que pour retrouver la piste du fameux postulat P. Annoncé sous cette étiquette dès le début de l’ouvrage, il est énoncé une première fois à la page 68, sans étiquette et sans crier gare, puis à la page 117, dans un lot de postulats, et sous la rubrique innocente « 5 (Axiome 11, dans Gregory) ». Au lecteur le soin de dessiner l’encadré et de poser des jalons. Dans une œuvre d’une telle ampleur, des repères en haut des pages sont quasiment indispensables pour faciliter les consultations postérieures à une première lecture ; on ne peut que regretter leur absence. La planche de salut que représente la table des matières semble, pour sa part, très claire, à ceci près que le choix des caractères fait mal ressortir la subdivision primordiale en livres, qui donne à certains endroits l’impression d’être subordonnée au découpage en parties, plutôt que l’inverse. Quant aux citations mises en exergue et comme en embuscade à tous les points stratégiques, le sujet s’y prête à merveille, mais point trop n’en faut. On dirait que leur trop-plein a reflué vers les rubriques préliminaires (remerciements, notations et terminologie, avertissement, avant-propos), dont elles encombrent inexplicablement les allées. Reconnaissons que ces critiques mineures ne pèsent pas bien lourd, et souhaitons que le cadre un tantinet oppressant ne détourne personne d’aller jusqu’au terme d’une si riche Aventure.
Pour terminer, deux remarques qui ne sont pas des critiques. L’auteur écrit, comme tout le monde à présent, Houël pour le nom de Jules Hoüel, dont j’ai sous les yeux la signature et auquel son premier commentateur, Brunel, faisait la grâce de laisser le tréma sur le u (place occupée d’ailleurs dans pas mal d’autres noms propres : Hüe, Haüy, etc.). Sans vouloir analyser l’origine d’un tréma ainsi placé, ni la prononciation qu’il implique, je plaiderais pour que l’historien respecte le nom original. La remarque vaut aussi pour Victor-Amédée Lebesque, devenu Le Besgue tout comme Leverrier se muait en Le Verrier. La seconde remarque porte précisément sur les lettres de Hoüel à Lebesque. M. Pont (p. 631) s’étonne de les retrouver dans le fonds Bertrand des Archives de l’Institut : à la page 633, il est question du fonds J. Bertrand ; enfin, à la page 705, le fonds est classé sous la rubrique Joseph Bertrand et en quelque sorte assimilé au dossier personnel du fameux secrétaire perpétuel. On ne voit pas, en effet, ce que viendraient faire là les épanchements entre Hoüel et Lebesgue, mais il s’agit d’un quiproquo. Le Betrand dont il est ici question était un simple amateur d’autographes et de pièces scientifiques, dont la collection, léguée à l’Institut, est devenue le fonds qui porte son nom ; rien d’étonnant, dès lors, à y découvrir des lettres acquises en vente publique, aussi bien de Hoüel à Lebesgue que, par exemple, de Catalan à Liouville.
François Jongmans